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LIVRE XVI.

de désirs nouveaux sont entrés dans nos cœurs et qu’ils ne connaissaient pas ! Quel supplice de se sentir dans l’Éden et d’y trouver l’enfer ! Déjà cet horizon me semble trop étroit ; il me pèse, il m’oppresse de tous côtés. Mille épées flamboyantes s’allument dans mon cœur. Le croirais-tu ? j’ai hâte de sortir de ces lieux où les infortunés que je viens de quitter brûlent de rentrer au prix de mille vies. Il est donc vrai que le cœur des enchanteurs est insatiable. Le paradis terrestre ne peut rien pour le combler !…

… Malheureux ! qu’allais-je faire ! où ai-je failli t’attirer, Viviane ? Cet univers n’est-il donc qu’un piége sous les pas des prophètes ?… Comment achever ce qui me reste à dire, et que vas-tu penser de moi ? Au moment où je revenais vers le bosquet de délices, un serpent s’est glissé devant moi, la tête droite, sous les chèvrefeuilles. Je me suis mis à sa poursuite. J’allais l’atteindre de l’épée ; mais il s’est retourné vers moi, et m’a dit d’une voix douce, peut-être ironique :

« Prenez garde, mon fils ; voulez-vous tuer votre père ? »

Sur cela il a disparu.

Lui mon père ! moi sa postérité ! Que veut-il dire ? Quels abîmes se rouvrent devant moi ! Ainsi c’est dans l’Éden que j’ai trouvé l’enfer… Non, non, Viviane, je lui montrerai que je ne suis pas son fils.