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MERLIN L’ENCHANTEUR.

temps, quoique leurs yeux semblassent être épuisés de larmes.

À cette vue, je me hâtai de répondre :

« Ô Ève, ô ma mère, laissez-moi baiser vos pieds. J’ai visité l’Éden. Les fleurs s’y souviennent de vous ; elles ont gardé la mémoire de votre félicité. Les gazelles que vous avez nourries se souviennent des noms que vous leur avez donnés. Venez, suivez-moi, ô ma mère. Rentrez avec moi dans l’enceinte bienheureuse. »

À ce moment je tirai un accord de ma harpe. Tous deux furent ébranlés, ils s’apprêtaient à me suivre ; mais presque aussitôt ils frissonnèrent de tout leur corps, et en s’éloignant ils me dirent :

« C’est assez que nous ayons entendu les paroles de celui qui a revu l’Éden ; une plus grande joie n’est pas faite pour nous. »

Et comme si la seule pensée des lieux aimés eût déjà rassasié leur cœur de trop de joie, ils se retirèrent. Pour moi, je restai seul dans le paradis terrestre ; les habitants du ciel ni ceux de l’enfer ne tentent plus de s’en approcher.

Telle fut, Viviane, la rencontre que je fis de nos premiers parents ; elle m’a laissé le cœur plein d’angoisse, si bien que j’hésite maintenant à t’attirer vers ces lieux, tout divins qu’ils me paraissent. Le souvenir d’une si grande infortune ne nous suivrait-il pas jusque dans le bocage d’Éden ? Nous-mêmes, sommes-nous assez ingénus pour ces lieux ingénus ! Cette vie printanière de nos premiers parents nous suffirait-elle ? Que de besoins, hélas ! que