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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Si tu es vraiment la vierge des Alpes, comme plusieurs le disent, refroidis mon cœur à ton souffle.

Dis-moi de douces paroles pour m’endormir, comme tu en dis aux bruyères de Bretagne. Je suis, moi aussi, une bruyère déracinée qui n’a jamais fleuri.

Si tu le voulais, il en serait temps encore. J’ai visité dernièrement, dans un bois de sandal, près du jardin d’une jeune fille nommée Sacontala, un enclos de bananiers, un véritable Éden. Dis un mot, un seul, et je construis là ma cabane, dans l’ombre vénérable du baobab, où le premier enchanteur de ce pays, Valmiki, a écrit ses gigantesques œuvres sur l’écorce d’un bambou. Puissé-je un jour l’imiter !

Le Gange prendrait sa source dans notre domaine. Il y a dans ce canton des milliers de bengalis, gris de perle, dont les chansons, la pétulance, les yeux étincelants, te plairaient tout d’abord. Sacontala, au milieu de ses antilopes, de ses gazelles, serait notre unique compagnie. Pour moi, je n’en voudrais pas d’autre. Elle t’attend avec une grande impatience sur le seul portrait que je lui ai fait de toi. Tu ferais bien, je crois, de te munir pour elle de quelques étoffes de Lyon et de Bruges, bien assorties, d’un dé à coudre, de quelques paquets d’aiguilles d’Angleterre, dont elle est entièrement dépourvue. Elle apprivoise pour toi une gazelle, et je sais qu’elle te prépare en secret une calebasse, une natte de jonc, dont elle veut te faire la surprise.

Ici nous oublierions le monde trop agité d’Arthus et les soucis des cours. Bientôt le monde nous oublierait