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LIVRE XVI.

de l’aurore ! Pourtant ce n’était pas toi. Elle voit mon mécompte ; elle serre les lèvres avec dépit et se venge par un éclat de rire ; après quoi elle me laisse seul égaré dans la forêt de bambous, de palmistes, de raquettes épineuses, qui sépare l’Euphrate de l’Indus. Tous les jours il m’arrive quelque chose de semblable.

De leurre en leurre me voici relégué à l’endroit où l’univers finit, au bord de la mer du Bengale, où séjournent les illusions vêtues de pourpre dans des grottes d’émeraudes, sous des forêts de corail. J’ai été assez vain pour croire que tu m’attendais à cet endroit, et il est certain qu’à peine descendu sur la rive j’ai cru voir ton collier de diamants dénoué et épars dans les sables. Était-ce le tien, en effet ? Je m’en suis fait un chapelet que je porte à ma ceinture. Ainsi, Viviane, tu t’es jouée de moi jusqu’au bout de la terre !

Où irai-je désormais, à moins de me plonger dans l’abîme insondable ou m’appellent tant de voix cristallines qui se répondent d’écueil en écueil ? Reviendrai-je sur mes pas ? Repasserai-je sur les mêmes traces décevantes par qui, cette fois, je ne me laisserai plus égarer ? Tout me devient insipide. Les dieux-enfants que je rencontre ici, partout, nageant sur des feuilles de lotos, ne m’intéressent plus. Je ne puis souffrir leur éternel vagissement ; je hais maintenant leur sourire hébété !

Comment étouffer en moi, Viviane, ce feu qui renaît de lui-même, cette pauvre âme qui se dévore sans pouvoir s’anéantir ?