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MERLIN L’ENCHANTEUR.

qu’elle monte à la tête, et j’ai peine à continuer. Mais quelle fête partout ! Est-ce que le rossignol célèbre aujourd’hui ses noces ? J’ai marié la vigne vierge, promise depuis si longtemps au poirier sauvage, et elle l’a enlacé aussitôt de ses mille embrassements. Est-ce leur épithalame que chante le rossignol ?

Tu veux, sans doute, savoir ce que je fais chaque jour ? Hélas ! rien de plus monotone. Le matin, je suis levée la première de la maison. Ma marraine est encore endormie que déjà je suis dans le verger. Je vois le soleil jaillir à travers la ramée, comme les gerbes de feu sur l’enclume joyeuse du forgeron. Un petit souffle insensible agite la cime des peupliers. Peu à peu les brumes s’élèvent de la vallée, et je poursuis ces fantômes jusqu’à ce qu’ils soient rentrés dans les cavernes, en laissant après eux, à tous les buissons, des lambeaux de leurs longues robes blanchâtres. Il y a toujours quelque oiseau paresseux qui tarde à s’éveiller, quelque abeille que la nuit a surprise dans les courtines d’une rose. Je m’approche sur le bout du pied ; je leur dis : « Levez-vous, il fait grand jour ! »

Cependant je m’assieds dans le carrefour, ma quenouille à la main ; je file là, deux heures durant, les fils de la Vierge qui te réjouissaient dans nos jours heureux ; et Dieu sait à quoi je pense tant que se prolonge cette occupation qui me plaît plus que toute autre. Mes doigts travaillent, ma pensée est ailleurs, ou plutôt, s’il faut être sincère, je ne pense pas du tout ; je rêve, je regrette, je désire, j’appelle…