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LIVRE XVII.

mieux, un continent ombragé où n’abordera aucun des soucis du passé ; de vastes pampas où nous serons maîtres et seigneurs ; sur l’Amazone, un petit bateau ; quelques vieux livres ouverts dans les savanes vierges ; au Pérou, une cabane, un serpent familier ; point de mines d’or, ou, tout au plus, une seule. Tout cela te semblera bien misérable au prix des anciens domaines infinis de l’enchanteur que tu as connu.

Qu’est devenu le temps où, pour le moindre de nos caprices, pour une fantaisie, pour un froncement de sourcils, nous allions remuant le ciel et la terre ? Aujourd’hui je dédaigne les palais de diamant dont nous avons été peut-être trop prodigues autrefois. Je reviens au vrai, à la nature. Accuse-moi, si tu le veux, de ramper à mon tour. Il est vrai, j’ai appris à me borner. Mais, dis-moi, Viviane, qui m’a brisé les ailes ?

Si la description très-fidèle que je viens de te faire peut enfin te convaincre, laissons là pour toujours les cours, les barons, les paladins, les ruines gothiques et même l’Alhambra. Allons loin des hommes, que nous connaissons trop, enfouir notre bonheur sous des lianes éternelles, au pied des Cordillères. Je t’envoie des graines de cocotiers, d’ananas, de vanilliers, de manguiers, de cannes sucrées et de maïs. Cette dernière plante, vert-gai, tirant sur le jaune, entrecoupée de nœuds, aux feuilles en fer de lance, produit de gros épis recouverts d’une touffe soyeuse qui s’épanouit en panache orangé ou purpurin. Sème la dans la Crau, au bord des eaux dormantes.