Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/166

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
162
MERLIN L’ENCHANTEUR.

fus tout d’abord si rempli, si obsédé, que je n’hésitai pas à repasser la mer sur ma pirogue, afin de t’en instruire. Mon esquif avait été détruit un peu auparavant, sur la côte, par un furieux ouragan, seul fléau à redouter sous ce climat.

Ne sens-tu pas, comme moi, le besoin d’oublier et de renaître ? N’espérons pas y réussir ici. Tant que nous serons dans l’ancien monde, il pèsera sur nous, il nous accablera de son poids. Quittons donc, Viviane, le pays des ruines, et laissons aux morts leurs tombeaux. C’est aux vieux génies ridés à demeurer sur une terre ridée. La vue des anciens lieux nous rappelle trop de mauvais jours. À des âmes aussi neuves que les nôtres il faut un univers nouveau.

Que sont, dis-moi, les îles d’Alcine, de Morgane, les palais d’Armide ou de Psyché, au prix des contrées où je t’invite ? Ce que sont les visions de la fièvre à côté des créations de la nature. Plus je vis, plus je me dégoûte des chimères pour m’attacher à la réalité toujours plus belle que l’invention. Je suis si las de rêver, d’imaginer ! Je suis si impatient de goûter enfin une joie vraie dans un monde vrai !

Ne cherche plus en moi ce Merlin qui vivait de vapeurs. Le temps des songes est fini, Viviane. Jouissons de l’univers tel qu’il est. Il est si beau !

Le bonheur que je demande aujourd’hui est un bonheur simple, paresseux, uniforme, composé surtout de bon sens, et qu’il est si facile de rencontrer ; plus de troubles ; point de tempêtes ; une île, ou, si tu l’aimes