Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
170
MERLIN L’ENCHANTEUR.

Je lui apprends à jouer des castagnettes. Sa douleur passe alors comme les orages de ce pays. Ils sont terribles, mais ils font place aussitôt à une sérénité radieuse.

Cirques, corridas, toros embolados, je l’accompagne partout. Quand je vois ses regards de houri se repaître de l’agonie majestueuse des taureaux sanglants, en même temps qu’elle agite son éventail sur son sein, je tressaille.

J’ai pris aussi le parti de l’accompagner aux offices, au salut, aux vêpres, à l’Angelus dans l’immense mosquée. Qu’arriverait-il si je la quittais un moment ? Je ne puis y penser.


P. S. — Il est trop tard pour te faire aujourd’hui son portrait, quoique tu m’aies recommandé de ne pas manquer des occasions de ce genre. En voici au moins quelque ébauche : Sa taille est souple, élancée, grande (chose rare chez les Espagnoles). Elle a la démarche d’une déesse qui effleure des touffes de roses ; le col blanc de neige, une gorge toujours émue comme un oiseau effaré pris au filet ; de petites mains, de petits pieds (autrefois je ne discernais que le visage). Sa tête, un peu mignonne pour sa haute taille, la fait paraître plutôt gracieuse que belle. Avec cela un son de voix limpide, cristallin dont rien ne peut donner l’idée, si ce n’est un rayon de miel où l’abeille a laissé son aiguillon. Son unique défaut vient de ce qu’elle a toujours été entourée d’hommes soumis au moindre de ses regards. Elle ne peut souffrir que l’on ne prenne auprès d’elle l’atti-