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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Mais elle aussitôt, se levant et changeant de ton :

« Mal deviné, bel enchanteur ! Vous vous trompez. Écoutez-donc, puisqu’il faut parler, et dans ce que je vais dire, voyez la franchise d’une âme espagnole. Je ne vous aime plus, depuis au moins deux jours.

— Pourquoi cela, bonté du ciel ? me suis-je écrié, en me levant à mon tour, en sursaut.

— Parce que celui que j’aime est don Juan de Tenorio. Je l’ai rencontré hier aux courses de taureaux. Je compte, Merlin, sur votre grandeur d’âme. Procurez-moi une échelle de soie, un manteau qui rende invisible et deux chevaux noirs ; qu’ils soient plus rapides que le vent. Don Juan doit m’enlever à la nuit tombante.

— Don Juan ? Y pensez-vous, Dolorès, le connaissez-vous ? »

Et je lui dévoilai tout ce que je sais de ce cavalier : qu’il se joue de tous les serments, qu’il est le scandale des enchanteurs ; l’Alhambra est plein de ses forfaits ; il la fera mourir de honte.

« Mourir, Merlin ! précisément il me plaît de mourir. »

Je lui représentai sa conduite envers moi. Était-ce donc un jeu, un caprice ? Était-ce un artifice pour enflammer un autre ? Quelle ingratitude, mon Dieu ! car enfin toutes les Espagnes m’avaient vu complaisant et soumis lui donner des aubades. Si du moins elle avait fait un autre choix, par exemple Lisardo ! Mais don Juan !… Et mille autres propos de ce genre, frémissant les uns d’indignation, les autres d’une tendre pitié.