Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
180
MERLIN L’ENCHANTEUR.

Tout le monde, à ma cour, est indigné ; les hommes fourbissent leurs armes, les femmes pleurent. Plus de chansons, plus de chasses même. À peine si, en un mois, on a entendu une fois le cor d’Obéron dans le carrefour.

Vous osez dire, mon fils, que vous n’avez rien à vous reprocher ! vous prenez le ciel à témoin. Eh bien, moi, je vous crois, parce que je connais votre candeur jointe à votre science. Mais les autres vous croiront-ils ? Et n’est-ce rien que l’opinion des peuples ? Songez donc, Merlin, que vous m’exposez à la raillerie des mondes.

De bonne foi, est-ce là une vie d’enchanteur ? Répondez-vous aux espérances que la terre et le ciel avaient placées en vous ? Hélas ! Merlin, je vois encore bien des misères, et, si vous le permettez, bien des déserts autour de vous ! Que ne les fertilisez-vous au lieu de compter les cils des yeux de Dolorès ? Pendant les heures que vous avez perdues seulement avec Marina, vous auriez fait, sans peine, de l’Afrique un jardin.

Quant à la France l’honorée, il vous en coûtait peu d’en tarir les larmes, au moins pour trois siècles. Dites-moi, l’avez-vous fait ?… Vous vous taisez, Merlin ; il vaudrait mieux pleurer… Je laisse là le scandale. Il est grand, ô mon fils ! vous pouvez m’en croire.

Et le chagrin, la honte de Viviane, ne les comptez-vous pour rien ? J’ai vu ses yeux se creuser, j’ai vu ses joues pâlir, sans qu’elle ait dit un mot. Pour la distraire, j’ai voulu la mener à la chasse. Tout l’ennuie,