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LIVRE XIII.

les unes blanches, les autres rosées, dont je me suis amusée à tapisser les rochers où tu t’es assis avec moi J’année dernière à pareil jour.

Je leur ai donné cent yeux pour regarder sur le chemin par lequel tu dois revenir ; je les ai placées sur la cime des monts pour qu’elles t’aperçoivent de plus loin ; je les ai étendues en tapis pour que tu les foules du pied. Dans chacun de leurs yeux j’ai laissé tomber une de mes larmes. Mais que dis-je ? et que te fait tout cela ? Que sont, hélas ! mes pauvres inventions pour toi qu’éblouissent les perles, les bagues, les pendants d’oreille des Vénitiennes et des Napolitaines ? On dit pourtant que dans leurs diamants il y a beaucoup de faux et de clinquant. Prends-y garde !

C’est le temps où les batteurs frappent le blé mûr. Chacun apporte sa gerbe et la répand sur la terre. Et moi, où est ma gerbe ?… Au bruit monotone des fléaux, une soif infinie me dévore. Mon âme, dont tu dis tant de mal, se consume d’une inconcevable langueur. Regarde à minuit les étoiles du grand char de David. Je les regarderai à la même heure. Ô étoiles ! emportez-moi loin d’ici, sur vos chars étincelants. Baisez le front de mon bien-aimé. Dites-lui qu’il ne me connaît pas, et portez-lui ce souffle de mes lèvres.

Les grandes forêts répandent au loin une odeur âcre d’herbe brûlée. Des ombres noires frissonnent au coucher du soleil dans le bleu des lacs. J’ai essayé de dormir. Quel sommeil, Merlin ! quel songe ! tu étais près de moi. Des lianes éternelles nous enlaçaient l’un à l’autre.