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LIVRE XIII.

jonche de débris ; et moi, je reste seule, cent fois plus dépouillée qu’elle.

Insensée d’avoir espéré quelque chose ! Je me suis trompée par de vains amusements ; et ces amusements d’un jour me sont arrachés, quand ils me seraient le plus nécessaires. Croiras-tu que j’ai porté tour à tour le deuil des marguerites, puis des églantiers, puis des violettes, puis des jacinthes, puis des bruyères ? Enfin, je n’ai plus rien à pleurer ici que moi-même. Toutes les ombres auxquelles je m’attachais m’ont été retirées. Et toi, la plus vaine, la plus légère, la plus éphémère, toi, Merlin, tu as été la première de ces ombres qui m’ait quittée pour te dissiper dans l’éternelle indifférence.

Ô brumes du matin, lourds fantômes rampants sur la terre et que je n’ai plus la force de conjurer ! pluies des abîmes ! cieux d’airain ! nuages cuivrés sous lesquels je courbe la tête ; murmures des sapins résineux ; clapotements sinistres des rivages ! fuite des oiseaux effarés, plus rapides que la nue ! lueurs funèbres des troncs caverneux ! plaintes, gémissements des vents ! silences solennels ! feuilles jaunissantes ! soleils livides, que m’annoncez-vous ? de quoi pouvez-vous me dépouiller encore ?

Quand tu étais près de moi, Merlin, que me faisaient la chute des feuilles, la pluie qui résonne sur l’herbe flétrie ? Tout était joie et sourire. M’apercevais-je alors que mes œuvres s’écoulaient comme l’eau ? Je refaisais incessamment la même chose, et elle m’était toujours