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MERLIN L’ENCHANTEUR.

moins glacées que le cœur des hommes, nos ténèbres moins profondes. Une curiosité vaine nous attirait encore vers le séjour des vivants. Toujours trompés, cette curiosité nous a lassés. Pour la dernière fois nous quittons nos demeures. Oui, Merlin, sachez que la terre est si enlaidie depuis votre départ que nous avons juré de n’y plus reparaître, même à ces courts moments où il nous était si aisé de soulever la pierre scellée sur nos têtes.

— Il a dit vrai, répéta la foule. Nos nuits sont moins tristes que le jour des vivants. »

Puis, en hochant la tête :

« Adieu, terre désenchantée ! Ruines, murailles solitaires, vous ne nous verrez plus !

— Que m’annoncez-vous ? interrompit Merlin qui refusa d’abord de croire ce qu’il entendait. Ne savez-vous pas que j’ai enchanté la terre et particulièrement ce royaume ? J’y ai mis moi-même partout la joie et le sourire. Nul d’entre vous n’oserait le nier.

— Oui, répliqua le père de Hamlet en s’efforçant d’adoucir son visage ; tu as répandu la sérénité sur le monde. Mais tes enchantements, pauvre Merlin, ne durent qu’une journée. Voilà ce que nous avons appris depuis que nous voyons ici face à face les choses éternelles. Tout ce que tu élèves le matin s’écroule le soir. Tu bâtis des choses merveilleuses, mais ce sont là des songes. Tu donnes des couronnes : elles se flétrissent. Tu appelles le sourire : il se change en larmes. Malheur à celui qui se confie en tes dons. »