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LIVRE XIX.

mais il ne vit rien que la face de plus en plus livide d’Arthus, qui reprit, avec le ricanement avant-coureur de la mort :

« Tu ne vois pas la blessure, ô le plus sage des hommes ! Pourtant elle est là, dans le cœur. Mais celui qui me l’a faite, et de quelle manière, et à quel jour, c’est ce que je ne dirai jamais. Il est plus doux de mourir. »

Sans oser répondre, Merlin essaya de tous les baumes qu’il avait recueillis dans son pèlerinage et qu’il croyait infaillibles. Il en avait rapporté du Caucase de Prométhée, de l’île de Philoctète, du jardin d’Éden, du sommet du Golgotha. Après les avoir imbibés d’une eau qu’il avait fait tiédir lui-même, il les étendit sur les membres du monarque. Aucun d’eux, pas même l’herbe Prométhéenne, n’apaisa les douleurs d’Arthus.

À cet instant, les nations couchées et engourdies sur le seuil de pierre firent entendre leurs ronflements, comme les Euménides couchées sur les dalles du temple de Delphes. Ce bruit sourd, étrange, fit tressaillir le roi, on ne sait si ce fut d’espérance ou de crainte ; déjà sa langue s’embarrassait, il avait peine à parler.

Des extrémités des membres, le froid gagnait le cœur. Ses yeux, qu’il roulait lentement dans leur orbite sanglant, paraissaient renfermer tout ce qui lui restait de vie. Il chercha de ses mains crispées son épée. On la lui montra sous son chevet ; il fit encore une fois signe qu’elle se rouillait au souffle empesté des méchants, et il la pressa sur sa poitrine.