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MERLIN L’ENCHANTEUR.

des vivants retenait son haleine, dans la crainte de troubler les heureux songes d’Arthus.

Les châteaux qui retentissaient autrefois de chants d’amour étaient abandonnés. Nul ne savait ce qu’étaient devenus leurs habitants. À peine si, dans l’enceinte des ruines, on tolérait quelque bruyère, quelque poirier sauvage où venait se poser, l’aile effarée, un oiseau voyageur ; et s’il se prenait à chanter, Merlin, assis sur l’herbe, se levait et lui disait dans son langage ailé :

« Silence ! qui que tu sois, oiseau bleu ! Arthus fait un beau rêve que j’interpréterai tout à l’heure. »

L’oiseau se taisait sur-le-champ et avec lui le monde entier.

Quelquefois une pierre se détachait de la voûte du palais. Au moment où elle allait tomber avec fracas, Jacques préparait une couche épaisse de feuillée qui amortissait le bruit. Par ce moyen, les tours, les murailles lézardées tombaient peu à peu en ruine, et se couvraient de futaies, sans que personne entendit le fracas. Deux ou trois fois, il arriva que des peuples qui n’étaient pas avertis se levèrent, pieds nus, pendant la nuit, avec un grand tumulte. Mais l’enchanteur n’eut qu’à leur faire un signe. Tous se mirent aussitôt comme lui, un doigt sur la bouche. Plusieurs générations passèrent ainsi sans bruit, sans haleine, déchaussées, l’oreille basse, muettes, garrottées, de peur d’éveiller le dormeur.

Les jours aussi passaient ; les nuits succédaient aux