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LIVRE XX.

seyait dans la cendre et murmurait ses rimes redoublées, désormais privées de sens.

Les meilleurs disaient en passant sur le seuil : « Quel malheur qu’un si grand homme soit devenu fou ! Mais aussi qu’avait-il besoin de se distinguer plus que nous-mêmes ? »

IV

Qui dépeindra la douleur de Merlin ? Ses yeux ne voyaient autour de lui que deuil, désenchantement, déclin ; et pourtant cela n’était rien en comparaison des hydres empoisonnées qui renaissaient dans son cœur, où il sentait périr un monde. La nécessité de dissimuler, ou, pour dire vrai, de jouer la tragi-comédie avec la plupart des créatures, était ce qui lui coûtait le plus. Si encore tout l’univers eût été dupe ! Les hommes accoutumés à l’être pouvaient bien l’être encore. Ils voient tout en gros, d’un regard incertain. Mais non ! il y avait toujours, sous ses pas, mille petits regards d’insectes, perpétuellement éveillés qui le perçaient à jour. C’était un créateur qui voyait sa création mourir. À moins d’être poëte, difficilement pouvons-nous avoir l’idée d’une peine si cruelle.

Et n’oubliez pas, qu’au milieu de ces ruines, Merlin s’était promis et imposé de sourire pour sauver au moins les apparences. Hélas ! que lui servait ce masque ?