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LIVRE XIII.

J’étais au pied de la tour en brique de ton château de Montmort, couleur de rouille. Je regardais le cheval de pierre que nous avons vu ensemble vautré dans l’herbe épaisse. La tempête arrivait. Je lève les yeux vers le ciel ; je crois voir, oui, je vois par derrière, dans une majesté étonnante, porté sur les nuages, un enchanteur plus grand que toi de cent coudées.

Je ne pus apercevoir son visage, qu’il détournait de moi. Il était enveloppé d’un manteau roulé autour de ses reins ; et de l’un de ses pieds nus il refoulait les nuages qui le portaient avec la rapidité des aigles. Malgré moi, je me collai contre terre pour qu’il ne m’aperçût pas. En me relevant, je rencontrai les petits bergers, et je leur demandai s’ils n’avaient pas vu sur leur tête un grand enchanteur ; ils me répondirent qu’ils l’avaient vu, et leurs pères avant eux, et qu’ils l’avaient toujours connu depuis qu’ils étaient au monde.

Ce ne sont pas là des rêves, Merlin ! Comment se fait-il que les petits enfants sachent des choses que toi et moi nous ignorons ? Que faut-il craindre ou espérer de cette rencontre ? Je me suis baissée au bord des sources et j’ai crié : Merlin ! Merlin !

Mais une voix plus forte que la tienne a répondu, et depuis ce moment je frissonne. Une feuille qui tombe, un jonc qui se lamente, une branche sèche qui se rompt et qui gémit, tout me consterne. Je reste immobile, un doigt sur ma bouche. Il me semble qu’un grand événement, qui va tout changer, arrive à pas de géant.

Reviens, reviens, Merlin, si tu veux me revoir encore,