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MERLIN L’ENCHANTEUR.

un bœuf celui que l’auteur du monde a créé dans la liberté ! Malheur à toi, Neustrie, parce que la cervelle du lion sera répandue sur tes prairies ! Et ils donnent aux soldats ce qui est dû aux pauvres ! Le hibou de Glocester nichera sur les murs de Lutèce, et dans son nid sera engendrée la vipère. La Gaule se mouillera de pleurs nocturnes ; les brutes auront la paix entre elles, et l’humanité endurera le supplice. Le vermisseau germanique sera couronné ; la forêt frémira ; elle s’écriera d’une voix humaine : « Arrive, Cambrie ! Ceins Cornouailles à ton côté, et dis à Guintonhi ; La terre t’engloutira ! »

Après un moment de stupeur :

« Voilà, Turpin, quelques-uns des maux que je prévois ; et ce qui trouble mon âme comme celle de Saül, je les prévois et ne puis les empêcher. »

Le cœur d’airain de Turpin sembla lui-même brisé par ces dernières paroles, et, laissant pour un moment échapper de ses mains son fléau :

« Maître, répondit-il, si le mal est sans remède, si le monde s’écroule, si les peuples réels vous ont faussé leur foi, allons, fuyons, retournons au pays des royaumes magiques. Là, du moins, vous vous assiérez sur des ruines de diamants. On peut encore se consoler et passer de bons jours dans un débris de palais d’émeraude.

— Je le sais, repartit Merlin d’un air pensif. Dieu merci ! il est encore des êtres reconnaissants sur la terre, et je ne doute nullement que si nous allions, toi et moi, gagner ces contrées imaginaires dont tu me parles,