Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/273

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
269
LIVRE XX.

mourir. Certes, je n’aurais point dédaigné une gloire véritable que chaque fleur des champs aurait proclamée chaque matin en se levant avec l’aurore. Tant de travaux accomplis ont eu tous pour but, avec le bonheur des hommes, cette gloire solide. Mais si je ne dois obtenir qu’un vain bruit passager, entretenu par les grossiers manèges des sylphes ; s’il faut capter, à force de complaisance, le maigre applaudissement des gnomes ; si le nom de Merlin ne retentit pas de lui-même dans tout le royaume d’Arthus, que ce nom ne soit plus jamais prononcé ! »

Comme il venait d’achever ces paroles, le roi des sophistes, suivi de la race entière des désabusés, vint à passer. Il avait l’œil vif et luisant, et il trônait dans le vide. Tout un peuple d’aveugles lui faisait son cortége. Il prouvait à ceux qui l’entouraient qu’il n’est rien de plus beau qu’un monde qui se meurt. C’était là une chose à faire envie à tous les temps.

À ce spectacle, Merlin sentit plus que jamais le violent désir de mourir.

« Voilà mon antechrist, dit-il à Turpin. Je le reconnais sans l’avoir vu jamais ; où il règne je péris. Vous qui m’aimez, ne le laissez pas s’approcher davantage. Je ne pourrais supporter ce triomphe d’aveugles. »

Et levant les yeux vers les astres voilés :

« Les hommes me déchirent et les vautours m’épargnent en me couvrant de leurs ailes.

« Les peuples me refusent leur seuil, et les loups me cèdent leur demeure. Ô nature dévorante ! d’où vous