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LIVRE XX.

teuse ne peut arriver, où la perfidie ne peut se glisser sous un front caressant, ni la fausse parole faire entrer la pointe de son glaive, tant la roche est haute, tant la broussaille est épaisse et hérissée d’épines.

Ne plaignez pas Merlin le Sauvage : il est déjà loin, dans la pluie, dans la neige, sous la fureur des vents ; mais il est à l’abri du mensonge. La chose la plus cruelle dans le profond exil, dans le désert de l’égarement, la connaissez-vous ? Ce n’est pas la privation de la terre natale, du berceau, du tombeau, de toutes les choses aimées. C’est que déraciné, errant, vous vous prenez à chaque sourire que vous rencontrez, comme si c’était là le refuge ; et souvent ce sourire est une embûche.

Malheur ! malheur ! Sans avoir le temps d’examiner, ni de choisir, ni de connaître (car il faut vous hâter), votre pauvre âme dépouillée, nue, mourante, se donne à qui vous fait, sur le chemin, l’aumône d’une douce parole ; souvent ainsi vous tombez en proie au reniement, au mensonge, à la grâce perfide, sans pouvoir retrouver le sol serein où la vérité croissait dans l’amour.

L’ami même qui ne vous connaît plus vous perce au fond du cœur, s’il vous rencontre. Là est le mal ; tous les autres sont miel et ambroisie à côté de celui-là :

Tout est divin !
L’amour commence !
Puis vient la fin :
Douleur immense,
Mort ou démence.