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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« C’est moi qui ai couvert le crime de Caïn et bu le sang d’Abel.

« C’est moi qui ai roidi mon bras pour dénoncer le premier meurtrier.

« De mon écorce a été fait le premier bouclier, et de ma tige la première lance.

« C’est à mes branches qu’Absalon est resté suspendu par sa noire chevelure sanglante.

« De mon rameau a été tressée la première couronne murale.

« J’ai enseigné la sagesse au premier des Druides, et je l’ai nourri de ma sève.

« C’est de mon bois qu’a été faite la croix du Seigneur.

« C’est sur ma cime qu’a niché pour la dernière fois l’oiseau de Jupiter.

« J’ai enfoncé mes racines sous la terre profonde pour savoir ce qui se cache dans l’abîme. J’ai porté ma tête dans les nues pour savoir ce qui est glorifié dans le ciel.

« La fourmi ailée trouve chez moi son gîte, mais je ne refuse pas mon abri aux vautours et aux loups vagabonds.

« Des armées se sont entre-choquées dans mon ombre. Elles m’ont engraissé de leurs funérailles, et c’est moi seul qui connais leur nom, car je leur ai pris jusqu’à leur gloire.

« César a abrité son front chauve à mes pieds, et le dernier des Brutus m’a confié son glaive.

« J’ai couvert tour à tour de mon ombre le bon et le méchant, le juste et l’injuste, l’heur et le malheur, le