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LIVRE XXI.

Le moment est des plus importants à préciser ; malheureusement je ne puis en fixer la date rigoureuse. C’était dans le mois où l’aubépine bourgeonne, à telle enseigne qu’une aubépine ombrageait la tête de l’enchanteur. Ce n’était donc plus l’hiver ; cependant ce n’était pas encore le printemps, car des rubans de neige argentaient encore le bord du lit des torrents. Ce n’était pas la nuit ; ce n’était pas non plus à la clarté éblouissante de midi. C’était à l’une de ces heures qui ressemblent aussi bien au lever qu’au coucher du jour. Ah ! voilà qu’une fauvette se plonge dans l’épais buisson d’aubépine ; après un dernier gazouillement elle cache sa tête sous son aile, se pose sur un pied, retire l’autre et s’endort. C’était donc le soir et non le matin.

Oui, c’était le soir ; mais le soleil jetait encore quelques-uns de ses derniers rayons mourants sur la cime empourprée des arbres. La forêt, comme celle de Soignes, immense, solitaire, semblait un temple aux innombrables colonnes, où des ombres tardives, colorées, passaient et disparaissaient dans l’obscur lointain des massifs de hêtres.

Il y avait parmi les arbres centenaires un chêne ridé, crevassé, barbelé de mousse blanche, foudroyé à la tête, où habitaient l’aigle et la fourmi ; c’était le vieillard et le père de la forêt. De son tronc sortait une voix caverneuse, mêlée du bourdonnement des abeilles :

« Je suis, disait cette voix implacable, le chêne de Merlin[V.]. C’est sur ma tige que s’est reposé le premier oiseau, au premier jour du monde.