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MERLIN L’ENCHANTEUR.

hautes sphères où vous avez pris l’habitude de vivre, vous n’oubliez pas le pays ? »

À ce mot de pays, toute l’exaltation du bon Merlin tomba soudainement. Son cœur éclata, puis se fondit comme la cire. Le prophète dépouilla l’homme d’airain qu’il avait revêtu ; et, laissant choir sa harpe à terre, il changea de ton et répondit :

« Parlez-moi, bonnes gens, de la douce France, quoiqu’elle ait été dure pour moi seul. J’ai vu beaucoup de patries, et c’est celle, après tout, qui m’agrée encore le plus, bien qu’elle m’ait renié plus d’une fois.

— Pardonnez-nous, dirent les peuples. Nous sommes témoins qu’elle n’a jamais renié son enchanteur Merlin.

— Soit ! reprit Merlin, je le veux bien. Ses enfants, disait-on, avaient le cœur changé en pierres ; la splendeur de l’or les éblouit et les aveugle. Outrages, calomnies, vilenies, bannissements, voilà le plus souvent ce que j’ai reçu d’eux ; mais volontiers je leur pardonne, parce qu’ils s’appellent Français. Et, malgré tout, je persévère à croire que les fils de leurs fils vaudront mieux que les pères. Car ils se souviendront de moi ; puissé-je les revoir, ne fût-ce qu’un seul jour avec Viviane, dans la compagnie du noble Arthus !

— Cela sera, » répondit la foule.

L’Enseveli essuya quelques larmes de ses yeux, puis il s’informa avec une simplicité qui lui gagna tous les cœurs, du tombeau de sa mère, de son petit champ d’héritage, de sa maison, de son jardin ; s’il était vrai que la maison fût en ruines, s’il en restait au moins