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MERLIN L’ENCHANTEUR.

de ceux qui dorment sous son toit, et qu’il ne s’en repose pas sur ses serviteurs, Merlin entretenait les morts dans une santé florissante, en pratiquant sur leurs têtes de vastes galeries par où s’engouffrait l’air matinal des aurores éternelles ; il amenait aussi près d’eux des eaux cristallines, jaillissantes, qui les berçaient perpétuellement de l’écho argentin des sources incréées.

Si l’un d’eux avait une blessure ouverte, il la guérissait incontinent au moyen d’un baume qu’il cultivait lui-même dans son jardin funèbre ; et la plaie, fût-elle au cœur, se fermait sans que le dormant se réveillât.

À je ne sais quoi, au visage, à la contenance, à l’air, il reconnaissait celui dont la tête était encore pesante des soucis terrestres ; il la soulevait lui-même dans ses mains et la replaçait apaisée sur le chevet de mousse.

À celui qui s’éveillait et s’écriait : « Où suis-je ? » Il répondait : « Sous ma garde. Tu t’éveilles trop tôt. Le grand Arthus dort encore. »

L’un des morts commençait-il par hasard à douter de son immortalité, notre enchanteur l’en reprenait vertement. Pour la lui rappeler, il plaçait près de lui une coupe pleine jusqu’aux bords qui ne s’épuisait jamais, jointe à une couronne d’escarboucles, qui luisaient dans les ténèbres.

Et leurs visages prenaient, chez tous, une paix majestueuse qu’ils n’avaient jamais connue ; étant d’ailleurs plus beaux, et d’une beauté plus correcte que dans le monde visible.