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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Du haut de son balcon il proférait régulièrement, entre la huitième et la douzième heure, ses prophéties de l’Aigle. Il avait le sentiment qu’il faisait le bien ; même en secret, s’il faut le dire, il jouissait tout bas de sa supériorité sur les vivants. Quant à tous les êtres, il n’en voyait aucun qui pût lui commander. Cette joie solitaire eût tourné en orgueil. Elle fut interrompue, mais seulement pour un jour ; voici comment :

Viviane filait à sa fenêtre et laissait tomber son fuseau qu’elle s’amusait à promener et à faire tournoyer dans l’abîme. Elle regardait, à ce moment, des ombres noires qui miroitaient dans le sillon des eaux profondes. En ramenant le fil, elle ne trouve plus le fuseau. Qui l’avait pris ? Elle se penche davantage et voit ou croit voir dans le gouffre un être planer, les ailes étendues au-dessus du sombre lac. Peut-être était-ce le père de Merlin qui passait par hasard dans ce canton égaré, à la recherche de son fils, en traçant de longs cercles, comme un épervier en quête d’une proie.

Jugez, si vous le pouvez, de la stupeur, de l’effroi, de la terreur de Viviane. Jusque-là elle croyait être seule avec Merlin dans son immense tombeau ; puis elle n’avait jamais vu ni ange ailé, ni séraphin, ni aucun des êtres inférieurs dont sont peuplés les deux chrétiens. Elle abaissa son long voile sur sa tête et se retira du balcon. En chancelant à chaque pas, elle alla rejoindre son compagnon, et je vous jure que la fauvette qui vient d’apercevoir un milan, les ailes éployées, et qui se cache dans la haie d’un verger, donnerait une