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LIVRE XXII.

de tous les mondes, à la réserve de quelques serpents au col gonflé d’envie qui l’insultèrent de leurs sifflets. Notre La Fontaine a eu l’esprit de copier presque textuellement Merlin et de le citer. Je crois pourtant que dans l’œuvre de l’enchanteur l’homme paraissait un peu moins, et chaque être avait mieux gardé sa langue natale. Je le crois, ai-je dit ; je n’en jurerais pas.

La saison ayant changé, Merlin inventa une foule d’autres œuvres. Quand la pensée de son père lui revenait subitement dans les jours sombres mêlés d’orage, il composait de vastes tragédies ; et il les déclamait d’une voix sinistre qu’enflaient encore les échos du sépulcre. Les Français en ont pris quelques tirades ; mais ils ont laissé la plus grande partie et la plus pathétique, celle où la mort même semblait révéler ses secrets ; nul d’entre eux n’ayant osé suivre Merlin dans ces abîmes. Et c’est en quoi ils eurent grand tort ; car ils ne prirent, pour ainsi dire, dans la tragédie qu’une moitié de Merlin. C’est pourquoi elle paraît encore boiteuse aujourd’hui parmi eux, quelque effort qu’ils aient fait naguère pour se réconcilier sur ce point avec l’enchanteur ; tant il est vrai que vouloir le corriger est la plus imprudente des vanités humaines.

Peut-être aussi qu’à cause de l’éloignement où il était des vivants, ne les entrevoyant plus qu’à travers des morts fastueuses, il outra un peu la vérité dans le tragique. Mais il ressaisit le naturel dans le comique jusqu’à se surpasser lui-même ; ne pouvant d’ailleurs