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LIVRE XXII.

Beaucoup de noms célèbres jusqu’à ce jour y périront. Je le sais, et qu’importe ? Moi-même, oui, moi même, j’ai eu maintes fois la tentation de voler mon propre héros. Je le déclare, je l’avoue. La chose m’eût été facile, tant les occasions étaient fréquentes pour moi. Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Parce que j’ai craint d’être découvert, pillant un tombeau. De là, un peu de timidité, et sans doute aussi plus d’une erreur, comme tu as pu, cher lecteur, t’en apercevoir. Voilà ma confession. Fais donc aussi, je t’en prie, une bonne fois la tienne.

Pourquoi, d’ailleurs, s’étonner si ces œuvres ont aisément ravi le monde. La belle merveille, en vérité ! D’abord elles venaient d’un enchanteur de profession. Considérez que le temps ne manqua jamais à Merlin, que le recueillement lui était plus facile qu’à nous ; qu’il ne travailla jamais pour l’amour de l’or, ni pour le besoin de vivre ; que, de ce côté-là, il n’avait absolument rien à craindre. Combien de circonstances favorables pour peser à loisir ses idées et ses syllabes ! Quand se représenteront des circonstances pareilles ? Probablement jamais.

En outre, nul besoin de flatter le goût, la dépravation, le caprice (cher lecteur, toi seul, tu fais exception) d’un lecteur qui pourrait fort bien ne se rencontrer jamais, dans un lieu si écarté. Il ne courtisait pas des générations qui devaient, j’ose le dire, lui sembler un peu éphémères. Il dominait son public, ou plutôt il n’y songeait jamais. Avait-il fait une œuvre ? Point de repos ! Il en composait une autre, d’un genre tout différent.