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LIVRE XIII.

peuvent régir. Les joues gonflées, elles soufflent perpétuellement autour d’elles leur froide haleine. Je leur demandai ce qui les retient dans ces lieux où rien ne peut vivre ; et, montrant les larmes gelées qui sont collées à leurs yeux, elles m’ont répondu :

« Le souvenir de notre dureté quand nous étions parmi les hommes. »

Ah ! Merlin ! quelle leçon pour ceux qui se vantent de ne pas connaître la pitié !

Comme la nuit s’approchait, des nains qui gardaient un troupeau de chamois m’ont offert de la passer dans leur tour de glace ; j’ai refusé. J’ai préféré descendre dans un chalet de Resti, la demeure la plus charmante que tu puisses imaginer. C’est, en même temps, un moulin dont trois cascades font tourner la roue. Les gens qui y demeurent avec moi sont les meilleurs de la terre. Croirais-tu qu’ils n’ont jamais ouï parler de toi ? Juge par là de ce qu’est leur sainte ignorance du monde.

Non, non, Merlin, n’espérons pas lutter avec la magie de ces lieux. Que pouvons-nous faire en face de ce perpétuel prodige ? Oublier nos sortiléges. On dit pourtant que, dans le voisinage, un enchanteur qu’ils appellent Manfred a voulu essayer son art sur le lac de Thoune. Quelle pitié ! il y a un autre enchanteur que toi, Merlin. Je le sens, je le vois, je l’entends dans ce mugissement étouffé de la cascade, au fond de la vallée. Mais où est-il ? où demeure-t-il ? En serais-tu jaloux que tu ne m’en parles jamais ?