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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Pendant que je gravissais les flancs du Wetterhorn pour me rendre de là sur l’Alpe verte, où j’espérais enfin te rejoindre, un accord gigantesque s’est tout à coup élevé dans la forêt de sapin. Elle en a frémi au loin ; et moi, que suis-je devenue ? « C’est la harpe de Merlin, me suis-je dit à moi-même. Lui seul peut ébranler le cœur de granit des montagnes neigeuses ! » J’ai hâté le pas ; mais je n’ai rien vu qu’un berger qui embouchait le cor des Alpes. Son instrument est fait du tronc d’un jeune sapin, entrelacé de fibres sonores. Il applique la bouche de son cor sur la terre, de manière que le son gigantesque soit renvoyé jusqu’aux oreilles des démons engourdis des glaciers.

Ainsi, Merlin, tu prends plaisir à te jouer de moi. Car ce n’est pas sans ta volonté que ce berger t’a emprunté, même pour un jour, la puissance d’ébranler par un accord l’âme inexorable des rochers de Rosenlaui !


Une dernière question, Merlin ! Quel est ici le roi des nuées ? Qui les range en bataille quand le jour se lève ?

Qui les dresse en pavillons, quand vient le soir pour abriter les songes ?

Qui en bâtit des villes d’or et d’opale d’où sortent les tempêtes par des portes de flammes ?

Ils sont si fantasques, Merlin, que j’ai cru d’abord que c’est toi qui leur commandés. Mais ils versent la rosée et la joie sur la terre ; et toi, Merlin, c’est le désespoir que tu laisses en partant. Non, tu n’es pas le chef des nuées, quoiqu’elles te ressemblent par leur génie va-