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LIVRE XXIII.

— Le mien, c’est la félicité même.

— Tu vas me rendre jaloux de toi, mon fils. Comment donc conserves-tu ce repos inaltérable ? Sans doute, mon ami, tu le dois, en grande partie, à ce que tu es retranché du nombre des vivants. Il y a si longtemps que je n’ai dormi, mon pauvre Merlin !… Dormir, ah ! quelle béatitude ! Une heure de sommeil, je la payerais d’un empire. Ce sont ces insomnies infernales qui ont creusé mes joues, vois-tu ! Donne-moi une herbe pour dormir. Moi, moi seul, dans l’univers entier, je veille toujours. Les dieux dorment souvent. »

En achevant ces mots, il essuyait la sueur brûlante qui ruisselait de son front. Pendant ce temps-là, le petit Formose, qui avait d’abord été effrayé, se rapprocha peu à peu. Il portait dans ses mains un petit nid d’oiseaux du paradis ; il les mit dans les mains de l’Aïeul. L’Aïeul les reçut ; il eut un moment la pensée de les étouffer ; mais, chose singulière ! il ne l’osa pas ; il les rendit à l’enfant avec un sourire pareil à celui d’un cyclope qui vient de découvrir un nid de fauvettes au fond des bois.

« C’est là ton fils ? dit-il.

— Oui, répondit Merlin.

— Il ressemblera à son grand-père. Certes, ces joies de la famille ne sont pas à dédaigner. Quand j’étais tout petit, j’avais, comme lui, les cheveux de ce beau blond doré tirant sur le rouge. Aime-t-il déjà à tisonner le feu, à se faire un dada d’un balai de sorcière ?

— Il ne ferait autre chose si je le laissais libre.