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MERLIN L’ENCHANTEUR.

— Bon ! Je reconnais là mon sang. Pourquoi le contrarier ?

— Eh ! que ne venez-vous, mon père, partager avec nous cette vie de famille ? Si vous le vouliez, nous habiterions ensemble ? »

Là-dessus le bon Merlin, avec une expansion qui faisait plus d’honneur à son cœur qu’à sa perspicacité, s’étendit sur le bonheur de la famille. Elle seule adoucissait tous les maux ; elle apprivoisait les monstres même. Cacus, Polyphème, Caliban, avaient cédé à sa douceur. Et qui empêchait le démon de les imiter en cela ? Loin des hommes, ses haines se calmeraient. En oubliant la méchanceté des créatures, il oublierait ses colères ; car, sans doute, le mal qu’il avait fait ou voulu faire n’était rien qu’une exagération du bien.

Il y avait dans Merlin un si grand désir de se réconcilier avec son père qu’il se permit ce sophisme :

« Enfin, poursuivait-il, que n’essayez-vous, ô mon père, quelque peu de notre genre de vie ? La place, ici, ne vous manquerait pas. Vous auriez, si vous le vouliez, tout à vous ce grand bois de figuiers pour y cacher vos méditations. Une famille, la vôtre, qui vous serait dévouée à toute heure, ne pourrait-elle adoucir vos chagrins ?

— Puisque tu le prends sur ce ton, je le parlerai comme à mon vrai fils. Sache donc que la vie que j’ai librement embrassée commence à me peser. Mais garde-moi le secret. N’en dis rien à la tombe, elle est trop pleine d’échos. Qui le sait mieux que toi ?