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MERLIN L’ENCHANTEUR.

— Non, mon père ! Ce n’est pas là ma vocation. Je n’accepte pas cette couronne, je la perdrais.

— Eh bien ! mon cher, c’est ce qui m’ôte tout courage. Tant que je voyais devant moi l’avenir de mon fils, celui de ma race, de ma dynastie, je dévorais toutes les difficultés. Mais si je ne dois pas avoir d’héritier de mon sang, à quoi bon tant de travaux éternels dans les abîmes ? Moi, aussi, je ne serais pas fâché de respirer un moment au bord des sources. Je suis las de cet éternel exil. Oui, si je pouvais cacher dans l’oubli cette tête blanchie ! Ignorant les démons et les hommes (la différence est faible !), si je pouvais être ignoré d’eux !

— Il serait, ce me semble, plus digne, mon cher père, de publier à la face des mondes votre changement de vie. »

Ces paroles imprudentes réveillèrent eu sursaut le génie de Satan. Ses yeux jetèrent des flammes. Il répondit en rugissant :

« Doucement ! Tu vas trop vite, Merlin. Y penses-tu ? Me démentir ? Moi ! confesser que je me suis trompé ! Ce qui nous reste à nous autres démons, c’est le caractère. Ôte-nous cela, nous ne sommes plus rien. Je puis bien, entre nous, reconnaître quelques erreurs. Mais me renier, démentir mon passé, m’ensevelir sottement dans une ridicule contrition, ne me le demande pas. »

Vous est-il arrivé, en cheminant dans les Alpes bernoises, de franchir le mur en pierres sèches d’un petit champ d’orge qui vous sourit au temps de la moisson ?