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MERLIN L’ENCHANTEUR.

porte-t-il à la manière des bêtes rampantes et a-t-il oublié de la redresser vers le ciel ?

« J’avais ployé l’arc de ses sourcils pour qu’ils fussent le sceau de l’innocence, et il en a fait la demeure de l’orgueil. J’avais gravé mes pensées dans les membranes de son cerveau, comme un scribe qui écrit sur le parchemin vierge. Pourquoi a-t-il effacé ce que j’ai écrit moi-même dans la moelle de ses os ?

« J’avais mis mon esprit sur ses lèvres pour qu’elles fussent épanouies dans la joie, et il y a mis le ricanement de l’homicide.

« N’avais-je pas délié sa langue pour qu’il publiât la vérité ? Il a publié le mensonge.

« Je lui avais donné deux yeux qui voient au dedans pour qu’il vit la justice ; il a regardé l’iniquité.

« Voilà pourquoi je me repens de lui avoir donné mon souffle dans ses narines. Que ne l’ai-je fait rentrer dans la nuit, dès qu’il a paru à la face du jour ?

« Sa bouche n’aurait pas enfanté le mensonge. Ses fausses promesses n’auraient pu souiller l’aurore que j’avais faite si pure.

« Il n’aurait pas attristé le soir, en concevant le crime, et la nuit, en l’exécutant.

« Maintenant, où descendrai-je sur la terre ? Partout il l’a tachée du sang d’Abel.

« Si je descends dans les gouffres, l’hypocrite s’y est déjà assis à ma place.

« Je m’ennuie de le voir partout déifié à la place qui m’est due.