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LIVRE XXIV.

— Plutôt qu’il règne, hurle une troisième voix, que l’enfer périsse ! »

Cette voix était celle du père de Merlin, qui avait entendu retentir dans son cœur les cris forcenés des maudits. Il arrive ; il porte à sa ceinture de fer les clefs rouillées des abîmes. Lui seul savait sur quelle colonne torse s’appuyait tout cet édifice si terrible et si grêle qu’il était chargé de réparer et de soutenir à mesure que le temps la minait. Il s’en approche :

« Je périrai, mais ils périront avec moi ! »

Comme il achevait ces mots, il renverse la colonne de son temple déjà usée par la base. Les voûtes prodigieuses qui formaient la basilique de l’enfer s’écroulent toutes ensemble. D’immenses plateaux de montagnes roulent dans la vallée. Ils laissent derrière eux des pentes nues, érodées, que ne graviront plus les peuples maudits qui habitaient à leurs pieds.

Tels les bergers de Goldau ont été surpris dans la nuit par l’éboulement de la montagne natale. Ils dormaient dans leurs chalets, étendus sur la litière de feuilles mortes, après avoir marqué leurs troupeaux qu’ils devaient conduire le lendemain dans les herbages de l’alpe verdoyante ; car la saison était venue. L’alpe a roulé de la cime avec les monstrueuses moraines ; elle s’est abîmée sur les pâtres avant qu’ils aient pu délier dans l’étable les génisses et le taureau. Le rocher écorché garde au front l’immense plaie qu’aucun siècle ne pourra guérir. Zug, tu en as hurlé de douleur ; et toi, Uri, tu en pousses encore des mugissements !