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MERLIN L’ENCHANTEUR.

C’est ainsi qu’ont été surpris les pasteurs des âmes qui vivaient de tortures. Le soleil funèbre, qui les éclairait à demi, se voile, il s’éteint. La mer de feu s’éloigne et tarit. Au loin, un dernier flot rouge se perd dans les sables.

Ils sont tombés les remparts de feu, et les chaînes sont rompues. Mais les âmes prisonnières, accoutumées au supplice, n’osent saisir la liberté. L’immense plèbe servile reste couchée, rampante, dans les fosses de douleur. Le cœur lui manque pour échapper aux lâches tourments qui sont devenus sa vie même. Nourris de serpents, le plus grand nombre ont pris goût à l’enfer. Comment songeraient-ils à se soulever du fond de leurs sépulcres éteints ? Voyant qu’il se dévore lui-même, ils attendent, stupides, qu’un nouvel enfer sorte de ténèbres nouvelles.

Dans cette mer d’hommes, quelques âmes seules osèrent se dresser debout en face de l’éternelle douleur, et elles la virent disparaître. Celles-là apparaissaient de loin comme la blanche voile d’un vaisseau sur l’Océan sans bornes. Parmi elles surgissait la plus anciennement condamnée, celle qui avait précédé toutes les autres dans le mal et dans le châtiment. Les siècles de torture ne semblaient pas l’avoir lassée.

« Levez-vous, frères ! dit Caïn au troupeau des hommes. Hors d’ici !… l’enfer est passé. »

Ces mots furent répétés par ceux qui avaient osé soulever leur tête. Alors les âmes tremblantes sortirent l’une après l’autre de leur couche de torture, et voyant