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LIVRE XXIV.

pouvait souffrir que son serviteur le prît pour un Dieu ; et il s’en expliqua d’un ton qui ne permettait pas la résistance :

« Me confondras-tu toujours, s’écria-t-il, avec l’Invisible, avec le seul vraiment sage, vraiment grand ? Si j’ai de lui une étincelle, suis-je, comme lui, l’éternelle lumière ? Ah ! que j’en suis loin, mon ami ! Je sais bien que par cet ex-voto (tu aurais pu, en conscience, le tailler un peu moins grossièrement) tu croyais m’honorer. Mais, outre que la matière en est vile et le travail barbare, sache donc (puissé-je n’avoir jamais à le redire !) que par là, tu ne fais que m’humilier, en me confondant avec tous les génies forains qui ont trompé ta bonne foi. Tu veux, m’honorer, dis-tu ! et tu ne vois pas que tu me crucifies à cette image de plomb, comme si j’avais fait un vol au seul sage, au seul digne, au seul voyant, auprès duquel toi et moi ne sommes que poussière ! Les choses que je fais t’étonnent, ô mon fils ! Il n’est pas besoin d’être un Dieu pour les faire. Un jour, si tu suis mes conseils, tu les feras toi-même, et mieux que moi peut-être. La magie n’y est pas toujours nécessaire. Mais il y faut, je l’avoue, plus de cœur que l’on n’en montre communément, même dans les temps où nous sommes. »

Ayant parlé ainsi, il éteignit les deux lampes, et rendit l’encens à la terre.