Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/420

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
416
MERLIN L’ENCHANTEUR.

vaste emplacement que l’enfer avait laissé, en se retirant ; et il se trouva que cette portion nouvelle était d’une merveilleuse fertilité à cause de la grande abondance de cendres de Gomorrhe, mêlées de pleurs, dont elle était couverte.

Quelquefois, en labourant, il trouvait sous la glèbe un croc, un trident, une fourche brisée, un anneau tout rouillé, demi-rompu, de la chaîne infernale. Son soc de charrue heurtait un reste calciné de fournaise ; l’abîme résonnait sous l’attelage. Alors, ses vaillants bœufs s’arrêtaient épouvantés et respiraient le soufre. Lui-même il reculait d’un pas. Il contemplait l’abîme, et s’étonnait qu’un si grand mal eût pu être détruit. Puis il aiguillonnait ses bœufs, pour leur faire franchir l’infranchissable borne.

Et il semait la moisson prochaine dans le sillon des maudits. Il se réjouissait de voir ses épis verdir dans la gueule de l’enfer.

Déjà il entendait les merles siffler là où avaient sifflé les démons ; il voyait les bouvreuils nicher dans un débris du trône vermoulu de Satan.

Là où avait été le cercle des tièdes, il plantait ses vignes frileuses ; où avait été la région glacée des grincements de dents, il faisait croître le mélèze et le sapin ami des hivers ; mais dans les fosses de bitume, il rassemblait les orangers, les citronniers et les pommiers sacrés.

S’il restait quelque part un antre enfumé, une crevasse, un puits de douleur, c’est là qu’il dressait son