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MERLIN L’ENCHANTEUR.

pour ma part, que trouble, angoisse. Comment donc aurais-je pu leur donner ce que j’étais si loin de posséder moi-même ? Malgré le plaisir que vous prenez à me rabaisser (plaisir que je n’ai jamais compris), doutez-vous que je ne mesure mes enchantements à leur véritable valeur ? Mais il fallait ou mourir ou faire quelque chose.

Et, si mes œuvres sont imparfaites, à qui la faute, Viviane ? à vous. Est-il bien généreux de m’ôter ma raison, et de me railler après cela sur ma gloire ? Vous vous moquez des hymnes des éphémères ; je vous les livre. Croyez-vous donc par là me navrer comme une cigale ? détrompez-vous. J’ai obtenu de mon cœur de ne plus saigner aux petites blessures ; c’est assez des grandes.

Que vous êtes amère, quand c’est le monde seul qui devrait se plaindre de moi ! S’il avait pu lire dans mon cœur, combien il m’aurait trouvé distrait, indifférent au moment même où je semblais tout occupé de lui ! La plupart de ses maux n’ont pas une autre cause. Il s’est trouvé des peuples, et, sans orgueil, je pourrais dire des mondes qui ont mis leur sort dans mes mains. Et moi, pendant ce temps-là, je prêtais l’oreille pour entendre le bruit de vos pas. Les peuples innocents, toujours dupes, me croyaient absorbé dans la méditation de leur avenir ; et moi, penché sur quelque ruisseau, je suivais des yeux la feuille que les flots entraînaient ; je lui demandais si elle n’apportait pas un message de vous.