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LIVRE XIII.

Où étiez-vous, Viviane, quand je sanglotais sur les grèves de Bretagne ? Et quand les nations m’ont suivi sur les bords du Rhin ? Et quand j’ai convié les peuples autour de la table ronde ? Et quand ils m’ont crucifié à Rome ? Et le jour où j’ai entendu la grande haleine du volcan ? Et cet autre où je me suis assis sur les rivages de la mer de Sicile ? Pourquoi avez-vous attendu que mon cœur se soit séché de douleur ? Vous avez commencé seulement à vous souvenir de moi, lorsque, indigné de ma misère, j’étais près de m’affranchir. Je vous savais fantasque, Viviane. Où et depuis quand, à quelle école avez-vous appris le calcul ?

En traversant les Alpes j’ai entendu un grand soupir. J’aurais juré que ce soupir sortait de ta poitrine et que tu étais cachée près de là pour m’épier. À peine entré en Lombardie, j’ai reconnu ton haleine dans les buissons de myrte. Réponds ! où étais-tu cachée dans ce grand jardin qu’ils appellent l’Italie ? N’étais-tu pas dans la foule aux processions de femmes de Tivoli et d’Albano ? J’ai cru souvent te reconnaître. Quand cette jeune fille de la Sabine m’a apporté des figues au passage du Tibre, j’ai crié d’avance dans mon cœur : Est-ce toi ? Même cri à Frascati sur le seuil d’une hôtellerie ; même délire à la vue d’une femme de la campagne de Rome. Je la pris pour toi dans tes jours de splendeur et d’humeur royale. C’était la fille d’un pifferare.

Quel plaisir trouves-tu, Viviane, à m’abuser ainsi par de vains songes, et à tourner contre moi les enchantements que je t’ai enseignés ? Un moment, un jour passe