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MERLIN L’ENCHANTEUR.

encore ! Mais une vie entière employée à se leurrer, à s’abuser l’un l’autre ! Qui peut la concevoir ?

Tu n’ignores pas, sans doute, que j’ai appris à ces peuples à faire ton portrait. Ils y ont réussi mieux que je n’eusse jamais imaginé. Tu as su que je conduisais leurs mains pour retrouver dans le marbre, sur le bois, sur les murailles, tes traits adorés ; et combien tu auras souri du maître et des écoliers ! Du moins, n’espère pas m’arracher cette image à laquelle j’ai fait travailler tout un peuple. Eh ! que crains-tu de la médisance ? Je n’ai pas dit un mot qui puisse effleurer ta renommée. La plupart me prennent ici pour un savant, un docteur, neveu de la Sibylle, qui n’entend rien aux choses d’amour. Jusqu’aux ermites des camaldules, tous sont amoureux de toi. Car ils ne connaissent de toi que ta beauté. Ah ! si je leur avais parlé des fantaisies de ton âme de pierre !

Mais toi, m’apprendras-tu d’où viennent en foule tes portraits, tes statues que je découvre chaque jour en Grèce, dans les domaines d’Épistrophius ? Qui les a faits ? en quelle circonstance ? à qui es as-tu donnés ? Que de questions, Viviane, auxquelles tu ne réponds jamais ! Pourquoi tant de mystères entre nous ? Je suppose que ces portraits de pierre ont été faits dans ta première adolescence, quand tu habitais le palais de ta marraine, Diane de Sicile. Pourquoi a-t-elle permis que tu fusses ainsi sans vêtements et sans voile ? L’enfance, la solitude ne sont point des excuses. Je suis jaloux de ces pierres ; je maudis les chevriers qui peuvent les regarder