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LIVRE XIII.

disent, ces gens d’expérience, ce qui est convenable et ce qui ne l’est pas dans la passion d’un homme de cœur ; et tu te conformeras à leur avis ; car c’est là ce que vous appelez, vous autres, être sage que de dépouiller son cœur de toute magie. Fais-toi, te dis-je, scrupule de tout, excepté de mes larmes.

Combien tu avais raison de me dire, le premier jour où je t’ai vue : « Ne m’aimez pas, je ne puis vous répondre ! »

En effet, depuis cette heure-là, tu m’as obligé de désirer immensément pour obtenir une goutte d’eau. Ton ambition suprême a été de découvrir comment tu pourrais me donner le moins de bonheur possible.

Cette froideur, qui est en toi une sorte de maladie continue, te rend la dissimulation plus facile qu’à une autre. Tu y trouves aussi l’avantage de regarder, sans sourciller, les larmes, le désespoir, l’agonie de celui que tu prétends adorer.

Au moins il est certain que tu m’adores mieux absent que présent. Ton cœur se remplit et se rassasie en quelques jours. On se croit heureux ; on l’est peut-être ; et voilà que ton âme fatiguée, exténuée d’un sourire, s’enveloppe soudainement d’un manteau de glace, comme ces cimes des Alpes que tu excelles à décrire ; sous un ciel serein, elles sont tout à coup environnées d’une brume sourcilleuse. Mais elles n’enfanteront jamais que la tempête.

Que voulez-vous donc, Viviane ? Je vous ai mis, non une fois, mais cent fois, votre bonheur dans vos mains,