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LIVRE XIV.

pouvoir se défendre de rougir en parlant. Mais bientôt, s’étant assuré que ce qu’il entendait dans la foule était un hymne à l’hypocrisie, il le traduisit librement de la manière suivante dans une prose plus fidèle que les vers :

« Hypocrisie, déesse des esprits des ruines, aux paupières peintes de carmin, tu es la plus belle, la plus féconde, la plus secourable des immortelles ! Qui jamais t’a vue deux fois sous le même visage ?

« Ni l’oiseau qui rejette son plumage d’hiver, ni le serpent qui change de peau dans le buisson épineux de nopal, ni l’arc-en-ciel qui enveloppe de son écharpe irisée la face éplorée du jour, ne peuvent t’égaler.

« Tu ne t’enfermes pas à Délos ou à Égine entre les murailles d’un seul temple battu des flots de la mer. Partout, dans chaque temple, tu te fais ta demeure.

« Les portes closes, la nuit, tu pénètres dans l’intérieur sacré, avec l’oiseau nocturne. Tu t’accroupis dans le sanctuaire, sur le parvis de marbre ; et, quand l’aurore s’éveille, tu as précédé le dieu. S’il arrive, il est trop tard pour lui. Tu le chasses de son propre palais.

« Tes soupirs, Hypocrisie, s’entendent de plus loin que ceux du vent dans la maison dévastée d’Éole.

« Ton hymne est le plus bruyant de tous. Il éclate comme le marteau ardent sur l’enclume des forgerons qui réveille la cité endormie. »

Ce que Merlin discerna mieux encore, ce fut l’éloge des feuilles flétries et de l’ivraie pour insulter le fro-