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MERLIN L’ENCHANTEUR.

vous en coûte-t-il d’attendre ? Hier encore, vous parliez d’amour, et vous en parliez si bien !

— Parler dans un sens et agir dans un autre est le premier signe d’une bonne éducation parmi nous, répondit Euphrosine en se retournant avec un peu d’humeur. D’ailleurs je me sens vieille, j’ai déjà dix huit ans !

— La poésie n’est donc pour vous qu’un fard ? Elle est pour moi la vie même. Comment pourrions-nous nous entendre ? Pourtant, si quelqu’un pleure jamais sur vous, ce sera moi. »

Ici Merlin s’aperçut qu’on ne l’écoutait plus : il se résigna à garder le silence. La troupe des jeunes gens frappa l’une contre l’autre, — en guise de cymbales, de vieilles pièces d’argent retrouvées dans les décombres. Les deux époux échangèrent entre eux froidement un frêle anneau de verre ; puis ils franchirent le seuil de la chambre nuptiale avec un surcroît d’ennui qui n’échappa aux yeux de personne. Tous firent entendre ce long ricanement sec, forcé, particulier aux esprits des ruines ; il se confondit avec le bruit des feuilles mortes que le vent souleva autour des colonnes brisées du temple.

Cette vision d’un monde sans amour fut si nouvelle et si extraordinaire pour Merlin qu’elle acheva de le consterner, car il sentait qu’il n’aurait jamais aucune puissance sur ce peuple singulier. « Ils sont esclaves, pensait-il avec amertume, ils ne peuvent aimer : l’homme libre en est seul capable. »

De ce moment il trouva dans tout le royaume d’Épis-