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MERLIN L’ENCHANTEUR.

pêche de s’élancer, à la manière des déesses, en rasant, sans les courber, les touffes de serpolet. Autre qu’un enchanteur ne s’en apercevrait.

« Comment, dit-elle, enfin, oserais-je lever les yeux sur mon seigneur ? Peut-être il me prend pour une fille des ruines, sortie du Palœo-Chorio. Mais elles sont belles. Quand elles entraînent les jeunes hommes dans le fond des forêts, elles enchantent leurs cœurs, si bien qu’ils nous prennent en haine.

— Eh quoi ! dit l’enchanteur, personne ici ne vous parle d’amour ?

— Non ! répondit gravement la jeune fille en levant la tête en arrière, pour montrer qu’elle n’avait jamais entendu ce mot. Heureuses, les femmes de pierre couchées dans l’herbe épaisse ! C’est pour elles que sont faits les mots magiques, car elles aussi ensorcellent le cœur des hommes.

— Ces pierres, répondit Merlin, sont dignes de toute admiration. Ce sont les portraits les plus fidèles que j’aie rencontrés de Viviane. Mais celui-là se tromperait qui, pour des pierres inanimées, dédaignerait les créatures vivantes, à cause des imperfections que l’on peut découvrir en elles. »

Cela dit, Merlin détacha de sa propre ceinture un petit poignard :

« Tenez ! gardez-le en souvenir de moi. Il vous servira à défendre votre honneur. »