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On terminait le chargement du Touache et, une fois de plus, j’assistai au grand va-et-vient des heures d’embarquement.

Sur le pont, quelques passagers attendaient déjà le départ, ceux qui, comme moi, n’avaient point d’adieux à faire, point de parents à embrasser…

Quelques soldats, en groupe, indifférents… Un jeune caporal de zouaves, ivre-mort, qui, aussitôt embarqué, était tombé de tout son long sur les planches humides et qui restait là, sans mouvement, comme sans vie…

À l’écart, assis sur des cordages, je remarquais un tout jeune homme qui attira mon attention par l’étrangeté de toute sa personne.

Très maigre, au visage bronzé, imberbe, aux traits anguleux, il portait un pantalon de toile trop court, des espadrilles, une sorte de gilet de chasse rayé s’ouvrant sur sa poitrine osseuse, et un mauvais chapeau de paille. Ses yeux caves, d’une teinte fauve changeante, avaient un regard étrange : un mélange de crainte et de méfiance farouche s’y lisait.

M’ayant entendu parler arabe avec un maquignon bônois, l’homme au chapeau de paille, après de longues hésitations, vint s’asseoir à côté de moi.

— D’où viens-tu ? me dit-il, avec un accent qui ne me laissa plus aucun doute sur ses origines.

Je lui racontai une histoire quelconque, lui disant que je revenais d’avoir travaillé en France.