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— Loue Dieu, si tu as travaillé en liberté et non en prison, me dit-il.

— Et toi, tu sors de prison ?

— Oui. J’ai fait huit ans à Chiavari, en Corse.

— Et qu’avais-tu fait ?

— J’ai tué une créature, au pays, entre Sétif et Bou-Arréridj.

— Mais quel âge as-tu donc ?

— Vingt-six ans… Je suis libéré conditionnel de trois mois… C’est beaucoup, trois mois.

Pendant le restant de la traversée, nous n’eûmes plus le loisir de parler, le forçat de Chiavari et moi.

… La mer démontée s’était un peu calmée. La nuit tombait et à l’approche de la côte d’Afrique, l’air était devenu plus doux… Une tiédeur enivrante flottait dans la pénombre du crépuscule…

À l’horizon méridional, une bande un peu plus sombre et un monde de vapeurs troubles indiquaient la terre.

Bientôt, quand il fut nuit tout à fait, les feux de Stora apparurent.

Le forçat, appuyé contre le bastingage, regardait fixement ces lumières encore lointaines et ses mains se crispaient sur le bois glissant.

— C’est bien Philippeville, là-bas ? me demanda-t-il à plusieurs reprises, la voix tremblante d’émotion…

… Dans le port désert, près du quai, où quelques portefaix dormaient sur les dalles, après le débarquement, le Félix-Touache immobile