Page:Eberhardt - Contes et paysages, 1925.pdf/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grisants, en son âme prédestinée d’homme du Nord.

Vivant à l’écart, ce n’étaient point les hommes, c’était la terre d’Afrique elle-même qui l’avait troublé, profondément.

— Tu es un poète de la nature, lui disait son père avec un sourire d’indulgence, comme j’ai été celui de l’humanité… Nous nous complétons.

Mais Andreï s’accommodait difficilement de la vie cloîtrée qui suffisait à la lassitude de vivre du vieillard. La hantise de l’inconnu, la nostalgie d’un ailleurs où il se fût senti vivre harmoniquement, sans aspirations jamais assouvies, l’étreignaient.

Parfois, des mois entiers durant, il n’ouvrait plus un livre, passant ses jours à errer dans les douars bédouins, à s’asseoir avec les primitifs et les infirmes, qui lui rappelaient les moujiks de son pays, ceux que son père lui avait appris à aimer et à comprendre.

Le vieux philosophe ne condamnait pas ces erreurs, cette vie nomade dont il comprenait le charme et la salutaire influence, pour les avoir ressentis jadis.

— Tu as raison, va-t’en aérer ton esprit… Va manger le pain noir et participer à la misère et à l’obscurité fraternellement… Ça te fera du bien…

Et peu à peu, Andreï se laissa prendre pour jamais par la terre âpre et par la vie bédouine. Son esprit s’alanguit, tout en restant subtil et