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gen[1], fut ensuite un texte très-gai à propos duquel Zelter se rappela deux jeunes filles dont l’amabilité l’avait profondément frappé, et dont le souvenir semblait encore aujourd’hui le rendre heureux. La chanson de société Bonheur militaire, de Goethe, fut ensuite le sujet d’une discussion enjouée. Zelter était inépuisable en anecdotes sur de belles filles et sur des soldats blessés, pour prouver la vérité du poëme. Goethe dit qu’il n’avait pas eu besoin d’aller si loin chercher tant de modèles dans la vie réelle ; c’est à Weimar même qu’il avait tout rencontré. Madame de Goethe formait gaiement opposition, disant que jamais les femmes n’ont été telles que les peint cette « vilaine chanson. » Ainsi passa très-agréablement l’heure du repas. Quand plus tard je me trouvai seul avec Goethe, il m’interrogea sur Zelter : « Eh bien, vous plaît-il ? » Je dis tout le bien qu’il m’avait fait. « Il peut, dit Goethe, au premier moment, paraître peut-être un peu cru, et même brutal, mais ce n’est là qu’une apparence ; je connais peu de gens aussi tendres que Zelter. Il ne faut pas oublier qu’il a passé plus d’un demi-siècle à Berlin ; or tout me fait voir que la race qui vit là a des manières si rudes, que la délicatesse ne ferait pas avancer celui qui voudrait la conserver ; il faut savoir parler fort et même être parfois un peu grossier pour ne pas être submergé. »

* Vendredi, 5 décembre 1823.

J’ai apporté à Goethe quelques minéraux, et, entre autres, un morceau d’ocre argileuse. Quel fut mon étonnement lorsque Goethe reconnut dans cette teinte celle-là même qu’Angelica Kaufmann employait pour

  1. Récit de voyage de Goethe. Voir Mémoires de Goethe, traduits par madame de Carlowitz, tome II, page 359.