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Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/120

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nisation sociale, que Werther ferait époque aujourd’hui, s’il paraissait aujourd’hui. »

« — Vous avez pleinement raison, dit Goethe, et voilà pourquoi le livre encore maintenant a sur un certain moment de la jeunesse la même action qu’il a eue autrefois. J’ai connu ces troubles dans ma jeunesse par moi-même, et je ne les dois ni à l’influence générale de mon temps, ni à la lecture de quelques écrivains anglais. Ce qui m’a fait écrire, ce qui m’a mis dans cet état d’esprit d’où est sorti Werther, ce sont bien plutôt certaines relations, certains tourments tout à fait personnels et dont je voulais me débarrasser à toute force. J’avais vécu, j’avais aimé, et j’avais beaucoup souffert ! Voilà tout.

On a beaucoup parlé d’une « époque de Werther ». —

    bonheur César lui aurait donné, comme tout aurait reçu une tout autre forme, si on lui avait laissé le temps d’exécuter ses plans sublimes. Venez à Paris, j’exige absolument cela de vous. Là, le spectacle du monde est plus grand ; là, vous trouverez en abondance des sujets de poésies ! »

    « Lorsque Goethe se retira, on entendit Napoléon dire encore à Berthier et à Daru, avec un accent réfléchi : « Voilà un homme ! » Il était dans le caractère de Goethe de ne pas communiquer facilement ce qui le touchait de près, et il garda un profond silence sur cette audience ; peut-être était-ce aussi par modestie et délicatesse. Il éluda les questions que lui fit le grand-duc. Mais on vit bientôt que les paroles de Napoléon avaient fait sur lui une forte impression. L’invitation de venir à Paris l’occupa surtout pendant longtemps et très-vivement. Il me demanda plusieurs fois à quelle somme monterait son établissement à Paris, tel qu’il l’entendait, et c’est sans doute en pensant combien de gênes et de privations l’y attendaient qu’il renonça au projet de s’y rendre. — C’est seulement peu de temps avant sa mort que je le décidai à écrire le récit laconique qu’il a laissé. » (M. de Müller.)

    Au bal donné le 6 octobre à Weimar, Napoléon causa encore avec Goethe, et, parlant toujours de la tragédie, il l’aurait placée au-dessus de l’histoire. D’après M. Thiers, à propos du drame imité de Shakspeare, « qui mêle la tragédie à la comédie, le terrible au burlesque, il dit à Goethe : « Je suis étonné qu’un grand esprit comme vous n’aime pas les genres tranchés. » On affirme que les Mémoires de M. de Talleyrand donneront encore des détails sur cette entrevue historique.