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Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/131

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la Suisse et du lac Majeur. Les îles Borromées se reflétaient dans les eaux ; sur les rivages on voyait des barques et des filets, et Goethe nous fit remarquer que ce lac était celui dont il parle dans ses Années de voyage. Je dis alors : « Je suis né dans un pays de plaines, et j’éprouve du malaise à considérer les masses immenses et sombres de ces montagnes ; je cherche quel plaisir on peut avoir à errer dans ces gorges. » — « Ce sentiment, dit Goethe, est dans l’ordre, car au fond l’homme ne se plaît que dans la situation dans laquelle et pour laquelle il est né. Celui qu’un puissant motif ne pousse pas à l’étranger, vit bien plus heureux chez lui. Sur moi, la Suisse a d’abord fait une telle impression, que j’en avais l’esprit tout troublé et tout inquiet ; ce n’est qu’après des séjours répétés, et dans les dernières années, que, visitant les montagnes dans un but purement minéralogique, j’ai pu retrouver en face d’elles la tranquillité. »

Nous regardâmes alors une grande collection de gravures faites d’après les tableaux d’artistes modernes, composant une galerie française. L’invention était presque toujours faible. Un paysage dans la manière de Poussin était meilleur[1] ; Goethe dit à ce propos : « Ces artistes ont saisi l’idée générale du paysage de Poussin, et ils le continuent. On ne peut appeler leurs tableaux ni bons ni mauvais. Ils ne sont pas mauvais, parce qu’on sent percer partout un excellent modèle. Ils ne sont pas bons non plus, parce qu’en général le grand caractère de Poussin manque à ces artistes. Il en est de même parmi les poètes, et il y en a qui sauraient fort bien faire du mauvais Shakspeare. »

  1. Sans doute de Berlin.